27 ans après avoir dénoncé le "mythe des effets structurants du transport", Jean-Marc Offner s'attaque désormais à sept anachronismes urbains qui structurent les politiques urbaines du XXIème siècle.
Filant la métaphore oculaire, Jean Marc-Offner ambitionne dans son nouvel ouvrage de déconstruire des "persistances rétiniennes", ces idées qui ont émergé dans la deuxième moitié du XXème siècle pour répondre aux nombreux phénomènes qui se sont mis en place au moment des Trente Glorieuses : exode rural massif, développement d'une agriculture intensive, massification de l'usage de l'automobile, mouvement de décentralisation, etc. Si cette période n'est plus, les outils utilisés par l'Etat, puis les collectivités locales demeurent. Jean-Marc Offner accuse les élus, les techniciens locaux et ministériels ou encore les agences de l'Etat de myopie voire de strabisme, empêchant toute lecture nette du monde actuel. Sans concession, l'auteur les invite à changer de lunettes car "toute la panoplie des instruments de l'urbaniste doit être revisitée".
L'auteur déconstruit en sept chapitres les sept mots d'ordre qui dictent aujourd'hui l'action publique locale : "Pour résoudre les problèmes de mobilité : le transport collectif ! Contre la crise du logement : tous propriétaires ! Il faut lutter contre l'étalement urbain ! Pas de vivre-ensemble sans mixité résidentielle ! La proximité refonde les liens sociaux et politiques ! Pour mieux gérer les territoires, changeons leur périmètre ! L'architecture fait la ville !". Il adopte une démarche systématique qui consiste à rappeler en préambule la légitimité originelle de chacun de ces dogmes. Celui le conduit ensuite à critiquer les outils utilisés pour décrire un phénomène, avant de relever les incohérences des politiques issues de cette vision biaisée, pour enfin proposer des politiques alternatives. Ainsi, concernant le premier mythe, l'auteur montre que les politiques de transports sont fondées sur la mesure du partage modal, et cherchent ainsi à promouvoir la réduction de la part de la voiture dans les déplacement au profit des transports en commun et des mobilités douces. Cependant, ces politiques, soutenues par un réseau d'acteurs structurés, sont limitées par les œillères produites par cet indicateur : incapacité à mesurer les déplacement à plusieurs modes, absence de mesure des valeurs absolues et des distances parcourues et oubli des enjeux sociaux, nombreux, de la mobilité. L'auteur fait le constat de l'échec de ces politiques, et appelle alors tous les acteurs à penser une mobilité plurielle, en offrant des bouquets de service, en cohérence avec l'évolution des modes de vie associant marche, vélo ordinaire ou à assistance électrique, transports en communs repensés et usage réinventé de la voiture, dorénavant publique et collective. Laissant de côté la simple mesure des parts modales, Jean-Marc Offner invite à "écouter les pulsations urbaines", interprétant la mobilité comme des espace-temps de programmes d'activités dans une conception visant à sortir du prisme unique des transports.
Par un ouvrage qui stimule toute personne qui s'intéresse aux questions urbaines, Jean-Marc Offner assume une posture inhabituelle par un ton volontairement polémique qui n'hésite pas à critiquer des acteurs installés et écoutés. Pourtant, on pourrait lui reprocher de se satisfaire d'un discours essentiellement dénonciateur qui ne dessine que des ébauches de modèles et instruments qu'il appelle de ses vœux. Mais qu'importe, il nous interpelle, élus, techniciens, étudiants en urbanisme, citoyens dans un texte décoiffant qui nous fait dialoguer avec les grands modèles qui continuent de structurer les politiques publiques. Par un discours pédagogue, référencé et riche, Jean-Marc Offner, universitaire et acteur de l'aménagement, nous invite à adopter une posture, et à compléter cette liste des anachronismes urbains.
Anachronismes urbains, de Jean-Marc Offner, éditions Presses de SciencesPo, 2020, 208 pages, 12,5 x 19 cms, livre broché, 15 euros.
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