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Photo du rédacteurThibaud Bages

L'intervention économique des Régions françaises : une territorialisation en demi-teinte ?

Depuis les premières lois de décentralisation mises en œuvre dans les années 1980, politiques et universitaires n’ont eu de cesse de souligner les limites du pouvoir économique des Régions, maillon faiblement outillé pour intervenir dans ce domaine de compétences. Les travaux de Daniel Béhar et Philippe Estèbe (2006) dressaient par exemple le constat que la première génération de schémas régionaux de développement économique ne permettait pas aux Régions de produire des modèles locaux de développement économique. Depuis 2016, l’introduction des schémas régionaux de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) ainsi que l’exclusivité accordée aux Régions dans l’aide aux entreprises a-t-elle modifié la situation ? Les nouveaux outils, introduits par la loi NOTRe, permettent-ils aux Régions de répondre de manière originale aux déséquilibres économiques de leur territoire ?

Le renforcement continu de l’intervention économique des Régions

Les réformes récentes des outils régionaux de développement économique s’inscrivent dans l’histoire du renforcement progressif de la capacité des Régions à intervenir dans le développement économique de leur territoire. À la suite des premières lois de décentralisation de 1982-1983, la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales fait du développement économique une compétence prioritaire des Régions, en leur attribuant la charge d’animer, par le biais du Schéma régional de développement économique (SRDE), l’activité des collectivités locales dans ce domaine. Malgré des évolutions qui semblent donner aux Régions des responsabilités croissantes dans la définition des orientations économiques locales, de nombreux rapports (rapport Balladur, rapport du Sénat en 2013) ont au contraire exprimé des demandes de clarification concernant la répartition de la compétence entre collectivités locales au sujet du développement économique. Les lois MAPTAM et NOTRe sont venues y répondre.

Les deux premières parties de la loi NOTRe (Titre Ier : « des régions renforcées », Titre II : « des intercommunalités renforcées ») viennent ainsi préciser les compétences des Régions et des intercommunalités en matière de développement économique. La prédominance de la Région sur les autres collectivités est confirmée dès l’article 2, qui indique que « la région est la collectivité territoriale responsable, sur son territoire, de la définition des orientations en matière de développement économique ». L’outil de cette prééminence est le SRDEII, document dès lors opposable qui définit les orientations économiques régionales. Ces modifications légales se sont traduites par de nombreuses évolutions au sein des conseils régionaux. D’un point de vue budgétaire, les investissements alloués au développement économique ont augmenté de plus de 51% entre 2013 et 2018 (Régions de France). Par ailleurs, les Régions ont majoritairement restructuré leurs agences de développement économique, à l’image de la création de l’agence AD’OCC en Occitanie, issue de la fusion d’anciennes structures existantes et de l’intégration de certaines agences départementales de développement économique dissoutes au 31 décembre 2016. L’évolution des politiques économiques régionales est également marquée par la création de nouveaux dispositifs en faveur des TPE, artisans et commerçants, jusqu’alors essentiellement soutenus par les Départements (à l’image du Pass Commerce et Artisanat de la Région Bretagne).

La territorialisation des politiques régionales de développement économique : l’avènement du couple Région-EPCI

La rédaction des SRDEII a été précédée d’importantes périodes de concertation organisées par les Régions. En Occitanie, la définition des orientations du schéma s’est appuyée sur des rencontres organisées dans chaque bassin d’emploi. Ces démarches ont permis d’identifier les inquiétudes dans l’application de la loi NOTRe de la part des territoires situés hors métropoles et leurs attentes à l’égard des Régions. La fin de la participation des Départements au développement économique, l’affaiblissement des CCI et la charge budgétaire induite par l’exercice de nouvelles compétences ont, comme l’élargissement des périmètres régionaux, contribué à nourrir le sentiment d’éloignement des centres décisionnels de l’intervention économique. Cette représentation s’ajoute à la crainte des agents et des élus des EPCI de ne pas pouvoir mettre en œuvre seuls les nouvelles compétences dont la loi les a dotés.

Si le temps d’élaboration des schémas a été, pour les Régions, le premier moment de leur affirmation comme chef de file du développement économique et animateur de la mise en œuvre de la compétence, ce sont toutefois leurs choix de territorialisation qui permettent de lire réellement leur nouvelle place dans l’intervention économique. Entendue comme la mise en œuvre locale de la politique régionale de développement économique, la territorialisation est la principale innovation des Régions à l’issue des réformes territoriales. Bien plus, ces choix de territorialisation constituent, face à la difficulté des Régions à produire une stratégie économique singulière, un vrai point de différenciation entre les Régions dans le déploiement de leur chef de filât.

Les choix réalisés par les Régions Occitanie et Bretagne mettent en lumière, malgré les différences d’interprétation du rôle de la Région, la même ambition de participer à un meilleur équilibre économique entre les territoires par l’accompagnement économique des territoires hors métropoles. Ainsi, en Bretagne, la Région a signé entre 2017 et 2018 une convention de partenariat avec chacun des 59 EPCI permettant de fixer la répartition de l’exercice de la compétence économique. La convention permet aux collectivités signataires de pointer les convergences de leurs stratégies, de désigner les dispositifs intercommunaux soutenus par la Région et d’exposer la mise en œuvre du SPAE (service public de l’accompagnement des entreprises) confié à l’EPCI. La Région accompagne cette dynamique par la création d’un service « développement économique territorial » constitué de 10 chargés de mission responsables d’une partie du territoire régional, afin d’assurer une présence dans les espaces moins denses (seuls deux agents sont en charge d’espaces métropolitains) et une coordination entre acteurs.

Les Régions Bretagne et Occitanie présentent deux modèles de territorialisation affirmant le couple Région-EPCI dans l’animation de la compétence de développement économique. Si la mise en œuvre des SRDEII a consacré le rôle des Régions auprès des acteurs du développement économique, qu’en est-il de leur capacité à produire une réelle stratégie régionale de développement économique ?

Un bilan en demi-teinte : de nouvelles organisations des services sur l’ensemble du territoire sans modèle budgétaire de préférence territoriale

L’affirmation des Régions comme chef de file du développement économique à l’issue de l’application des réformes institutionnelles récentes n’implique toutefois pas la production d’une stratégie économique régionale. Les choix de territorialisation des Régions consisteraient plus en une distribution territoriale nouvelle de leur organisation qu’en une réelle différenciation territoriale des aides régionales. En effet, les discours des élus régionaux sur la défense des territoires non métropolitains n’ont pas été accompagnés de la production, dans les SRDEII ou les délibérations régionales, d’un modèle budgétaire précis de soutien des entreprises et des projets selon leur territoire. Par ailleurs, la volonté des Régions de continuer à intervenir massivement dans les projets économiques métropolitains ne remettrait-elle pas en cause leur discours de défense des territoires non métropolitains ?

Depuis 2016, le renforcement des services régionaux de développement économique en ressources humaines ainsi qu’un déploiement territorial rapide ont permis aux Régions de rendre leurs politiques plus opérationnelles et leurs dispositifs plus accessibles aux entreprises de tous les territoires. Néanmoins, seule une confirmation de ces réorganisations à l’issue des élections régionales de 2021 ainsi qu’une clarification budgétaire de la distribution des ressources selon les territoires permettront aux Régions de soutenir durablement les territoires non métropolitains.


Cet article est issu d’un mémoire de Master 1 réalisé en 2019 portant sur l’évolution de la compétence de développement économique des Régions françaises depuis 2016. Il s'est notamment intéressé aux cas des Régions Bretagne et Occitanie. Il a été dirigé par Isabelle Géneau, Maître de conférences à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, membre du laboratoire Géographie-cités



Bibliographie

Béhar, D. et Estebe, P. 2006. « Développement économique : la fausse évidence régionale. Analyse des schémas régionaux de développement économique », Les Annales de la recherche urbaine, n°101, p. 40-49.

Bouba-Olba, O. et Grossetti M. 2015. « La métropolisation, horizon indépassable de la croissance économique ? », Revue de l'OFCE, vol. 143, n°7, p. 117-144.

Davezies, L. et Talandier, M. 2014. L'émergence des systèmes productivo-résidentiels, Territoires productifs-territoires résidentiels : quelles interactions ?, Paris : La documentation française, Col. CGET.

Doré, G. 2014. « Les capacités des régions françaises en matière de développement économique et d'innovation », Innovations, vol. 44, n°2, p. 127-150.

Levratto, N. et al. 2017. Analyse du lien entre les métropoles et les territoires avoisinants, rapport du laboratoire EconomiX de l’université Paris X Nanterre pour France Stratégie, le CGET et l’Institut CDC pour la recherche.

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